République centrafricaine : Rapport de situation, 5 Déc 2024
FAITS SAILLANTS
- En 2024, la communauté humanitaire en RCA planifie d’assister 1.9 millions de personnes les plus vulnérables. 367.7 millions de dollars américains sont requis.
- Les acteurs humanitaires ont fourni une assistance vitale à 2 millions de personnes en 2023.
- Situation humanitaire de plus en plus inquiétante dans le Haut-Mbomou.
- Face à l'insécurité dans leurs villages, des tchadiens cherchent refuge dans le nord-ouest de la Centrafrique.
Analyse
Les violences basées sur le genre : un fléau aux effets dévastateurs
Les violences basées sur le genre (VBG) ont pris une ampleur inquiétante en République centrafricaine (RCA), suite aux normes socioculturelles défavorables aux femmes et aux filles, et ce malgré l’existence de politiques et de textes normatifs en la matière. Cette situation est également renforcée par la crise que traverse le pays depuis plusieurs années. Les violences envers les civils et l’insécurité, en particulier dans les localités situées hors des centres urbains continuent à augmenter la vulnérabilité de plusieurs millions de personnes, notamment les femmes, qui voient leurs moyens de subsistance s’éroder, et leur accès à la nourriture et aux services de base notamment les soins de santé et l’eau drastiquement limité. Ainsi en 2024, 2,8 millions de personnes – soit 46% de la population - sont extrêmement vulnérables au point que seule l’assistance humanitaire ne suffira pas pour restaurer leur bien-être.
Une augmentation du phénomène
Si les déplacés et réfugiés sont souvent les faces les plus visibles de la crise en RCA, les VBG ont pris une ampleur inquiétante. Chaque heure qui passe en RCA, plus de deux personnes subissent des VBG, notamment les viols. Rien que pour le premier semestre de cette année, plus de 11 000 cas de VBG ont été signalés. Au cours du deuxième trimestre plus de 6 000 cas de VBG (32% de cas de viols, 28% d'agressions physiques, 17% de déni des ressources, 15% de violences psychologiques, 5% d'agression sexuelle, 3% de mariages précoces) ont été signalés. Parmi les survivants, 96% sont des femmes et des filles. Selon les statistiques du système de gestion de l’information sur les VBG (GBVIMS) collectées auprès des services dédiés en 2023, les incidents de VBG ont augmenté de 1 910 cas, soit une hausse de 8% par rapport aux 23 644 incidents de VBG déclarés en 2022. Parmi les types de VBG, les cas de viols (32%) restent les plus signalés. La crise humanitaire prolongée qui à son tour est la cause de stress croissant au sein des ménages entraine une adoption des mécanismes de survie négatifs tels que le recours au sexe pour la survie et le mariage précoce des filles qui exacerbent les VBG affectant majoritairement des milliers de femmes et filles.
Survivre ou faire face au risque
C’est le difficile choix que nombreuses femmes doivent parfois faire en RCA, dans un contexte où l’accès aux moyens de subsistance comme les champs, ainsi qu’aux services de base comme l’eau et la santé est fortement restreint par l’insécurité résultant du conflit. L’ évaluation multisectorielle annuelle des besoins rapporte un sentiment d’insécurité pour au moins 25% de ménages enquêtés qui indiquent des risques dans l’accès aux services en eau pour les femmes et filles, les endroits de ramassage de bois et autres points de distribution, qui sont pourtant d’une importance capitale pour la survie quotidienne des ménages, bien qu’exposant particulièrement les femmes et les filles à des risques élevés de VBG dont les violences sexuelles, les exploitations et abus sexuels, la violence conjugale, le sexe pour survie, le mariage forcé, le déni de ressources, etc.
Une réponse à l’épreuve des ressources
Au premier trimestre 2024, seuls 28 % des cas de VBG ont reçu un soutien psychosocial et des soins médicaux dans les 72 heures requises, 14,5 % ont bénéficié d'une assistance juridique et seulement 4,5 % ont reçu une assistance aux moyens de subsistance. Au mois de février, le Coordonnateur Humanitaire a alloué 3 millions de dollars américains du Fonds humanitaire de la RCA pour combler les lacunes dans les interventions contre les VBG et favoriser l'innovation, ce qui représente 25 % du financement requis pour le domaine de responsabilité des VBG dans le cadre du Plan de réponse humanitaire 2024. En raison du manque de financement, de nombreuses survivantes de VBG ne reçoivent pas en temps opportun les services et l'assistance nécessaires qu'elles méritent. Les attaques contre les infrastructures de santé par les parties au conflit compliquent également l’accès des survivantes de VBG à une assistance médicale et l'accès de la population dans son ensemble aux services de soins de santé. Les affrontements entre les parties au conflit ont conduit à la fermeture de plusieurs établissements de santé, privant ainsi des milliers de personnes de soins de santé vitaux. Par exemple, en avril, des affrontements armés dans la région du sud-est ont privé 5 000 personnes de soins médicaux.
Réponse d'urgence
L'impact de la crise au Soudan en République centrafricaine
Au Soudan voisin, les affrontements entre les forces armées soudanaises (SAF) et les forces de soutien rapide (RSF) se poursuivent depuis le début du conflit en avril 2023, entraînant des déplacements massifs de population. Plus d'une année de combats brutaux, une crise alimentaire aiguë sévit au Soudan, avec certaines régions risquant de connaître des niveaux catastrophiques d'insécurité alimentaire d'ici la période de soudure. En août 2023, le gouvernement centrafricain avait reconnu les Soudanais fuyant le conflit comme des réfugiés prima facie.
Depuis le début de la crise soudanaise en avril 2023, la République centrafricaine a accueilli 28 871 réfugiés au 11 août 2024. Parmi eux, 20 060 réfugiés soudanais ont été enregistrés de manière biométrique et vivent dans 13 localités, principalement dans des endroits difficiles d'accès en dehors de la préfecture de Vakaga, et ont besoin de protection et d'assistance. Au mois de septembre 2024, la tendance est de 27 arrivées par semaine, une diminution par rapport aux 98 arrivées par semaine en août, 124 en juillet, 204 en juin et 231 en mai. Au cours de la semaine du 10 au 16 novembre 2024, 98 réfugiés soudanais provenant de 36 ménages sont arrivés à Korsi, dans la préfecture de Vakaga, soit une augmentation de 56 individus par rapport à la semaine précédente. Les attaques continues entre parties adverses au Soudan augmentent les risques de nouveaux déplacements, ce qui pourrait inciter davantage de groupes de réfugiés soudanais à traverser la frontière d’Am Dafock. Avec la fin de la saison des pluies et une meilleure accessibilité des routes, une hausse des arrivées en RCA, notamment à Korsi, est anticipée.
Conséquences économiques
En raison de l'insécurité qui règne le long de la frontière, le trafic entre le Soudan et la République centrafricaine (RCA) a été fortement perturbé, ce qui a entraîné une forte augmentation du prix des produits de première nécessité. Le Soudan approvisionne plusieurs villes de la RCA, particulièrement Birao dans la Préfecture de la Vakaga et Ndélé dans la Préfecture de Bamingui-Bangoran. Pendant la saison des pluies qui dure d'avril à octobre, l'accès est très difficile et l'approvisionnement dépend largement du Soudan. Pour certains produits, les prix ont doublé́ dès le début de la crise. Un sac de sucre de 50 kg, qui se vendait 40 000 francs CFA avant le conflit est passé à 80 000 francs CFA à Birao. De même, un petit bol de millet, auparavant vendu à 500 francs CFA est passé à 1 000 francs CFA. Par après, l'intervention de la communauté humanitaire a permis d'établir une certaine stabilité des prix en approvisionnant plusieurs tonnes de certains produits de Bangui à Birao. La région nord de la RCA connaissait déjà une insécurité alimentaire aiguë, une situation qui pourrait atteindre l'un de ses stades les plus graves si une réponse adéquate n'est pas apportée.
Faire face aux besoins supplémentaires
En 2024, 913 000 personnes seront particulièrement vulnérables que seule l’assistance humanitaire ne suffira pour leur bien-être dans la région nord du pays, regroupant les préfectures de la Vakaga, de Bamingui-Bangoran, de l’Ouham, de l’Ouham-Pende et de la Nana-Gribizi. Elles étaient plus d’un million (1 093 000) en 2023. Cette baisse s’explique notamment par la diminution du nombre de chocs auxquels les populations font face comme les affrontements entre parties au conflit, et les mouvements de population qu’ils entraînent. Bien qu’en diminution, les attaques contre les civils persistent, obligeant la population à chercher refuge ailleurs. Les conflits au Soudan et au Tchad voisins ont également impacté la vulnérabilité des populations, augmentant l’ampleur des besoins dans les régions nord-est et nord-ouest.
Réponse humanitaire
En 2023, la communauté humanitaire a acheminé vers Birao dans le nord un fret aérien d'assistance multisectorielle d'urgence, dans le cadre du plan de pré-positionnement des stocks mis en œuvre chaque année dans le nord de la RCA où l'accès est extrêmement limité pendant la saison des pluies qui court d'avril à novembre. La même année, le HCR a relocalisé les réfugiés et les rapatriés spontanés de Am-Dafock vers Birao, une zone plus sécurisée identifiée par les autorités loin de la frontière avec le Soudan. La relocalisation assistée a toutefois été suspendue, la route entre Am-Dafock et Birao devenant impraticable pendant la saison des pluies, mais des mouvements de relocalisation spontanés ont été enregistrés.
La réponse humanitaire s’est poursuivie sur le site Korsi à Birao, Ndele et Sam-Ouandja. Progressivement, les ONG, agences des Nations Unies et autres organisations internationales distribuaient des vivres, des articles ménagers essentiels, fournissaient de l'eau potable, construisaient des abris d'urgence et des latrines, dispensaient des soins de santé, en éducation et en protection.
Selon le Plan régional de réponse aux réfugiés (PRR) du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), en 2024, 46.2 millions de dollars américains seront nécessaires pour répondre aux besoins de 40 000 réfugiés, 3 300 retournés, et de 28 000 membres appartenant aux communautés d’accueil. Cette année, la réponse évolue vers le renforcement des interventions existantes et la satisfaction des besoins changeants de la population croissante. Dans sa première phase, les partenaires continueront de collaborer avec le gouvernement pour assurer l'accès au territoire et à l'asile, et en fournissant un soutien aux personnes nécessitant une protection internationale. Le principe de "ne pas causer de tort" sera au cœur de la réponse.
Dans sa deuxième phase, l'accent sera mis sur la poursuite des activités de relocalisation des réfugiés des zones frontalières insécurisées dans la zone de Korsi. Lorsque cela est possible, une assistance monétaire sera fournie, afin d'améliorer la capacité à satisfaire les besoins fondamentaux et de réduire la probabilité que les individus et les ménages aient recours à des stratégies d'adaptation nuisibles. Les centres d'écoute resteront opérationnels pour traiter la prévention de la violence basée sur le genre, tout comme la fourniture de kits Prophylaxie Post-Exposition au VIH (PEP), la formation des travailleurs de première ligne et des membres de la communauté. La distribution de nourriture, d'eau potable, d'abris d'urgence, de services de santé et d'articles de secours essentiels tels que des moustiquaires et des kits d'hygiène sera assurée aux points d'entrée.
Dans sa troisième phase, les partenaires orienteront également leur réponse vers la construction de la résilience, des moyens de subsistance et de l'inclusion économique. Cela inclura le soutien aux organisations locales avec des intrants agricoles et des outils nécessaires ; le renforcement des compétences existantes en tirant parti des ressources locales tout en établissant des liens avec les entreprises existantes pour créer des opportunités économiques.
Les financements humanitaires en baisse
En 2024, 2,8 millions de personnes, soit 46% de la population, seront extrêmement vulnérables en République centrafricaine que seule l’assistance humanitaire ne suffira pas pour leur bien-être.
Au total, c'est désormais 367,7 millions de dollars que la communauté humanitaire devra mobiliser en 2024 pour répondre aux besoins les plus urgents de 1,9 millions de centrafricains, parmi les plus vulnérables, dans un contexte global de baisse des financements humanitaires. Les capacités d'absorption des besoins supplémentaires sont très limitées.